120 BPM, un film sur la lutte d’Act Up, un modèle pour les luttes d’aujourd’hui

jeudi 21 septembre 2017
par  Elisabeth Arrighi
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Ce film vibrant et intense sur un groupe de jeunes aux prises avec le sida, dans les années 90, nous saisit à toutes sortes de niveaux.
L’énergie du collectif, avec sa joie, sa chaleur, et aussi sa conflictualité, éclate dans les réunions hebdomadaires en amphi où se réfléchit et se décide toutes les actions. On a le droit de s’engueuler sur les choix stratégiques, on a le droit aussi de devenir aussi experts, d’exiger de travailler dans les commissions ministérielles, et avec les labos.

Le collectif s’ancre dans l’intime, avec une histoire d’amour bouleversante. C’est le même désir, le même élan qui pousse le groupe à inventer, et qui rapproche les amis ou les amants.
On voit comment l’ombre de la mort est combattue par l’arme de l’humour, (un jeune hémophile explique comment éviter les grumeaux du faux sang fabriqué dans une baignoire, les slogans provocateurs, les pom-pom girls de la Gay-Pride, le plaisir partagé de la danse). Aussi par l’ancrage dans le corps, vivant, dans la maladie et dans le plaisir, dans le silence de la rencontre et dans l’affirmation publique. Et par l’énergie de la lutte, de la colère (les interventions où les responsables des labos pharmaceutiques se retrouvent aspergés de faux sang, et traités d’assassins).
C’est tout sauf un mélo, c’est une histoire de lutte.
Ces jeunes, séropositifs pour la plupart, sans traitement efficace à l’époque, menacés, certains déjà malades, s’entraident bien sûr, mais d’abord s’affirment comme des activistes : « Ce n’est pas une cause, c’est une lutte ».

Qu’est ce que ce film nous dit pour aujourd’hui ?
Le combat d’Act Up sur le Sida n’est pas terminé, même si aujourd’hui, pour beaucoup, le sida est devenu une maladie chronique. Restent ceux qui n’ont pas accès aux traitements, à l’information, à la prévention, habitants du Sud, ceux qui sont en prison, qui vivent de prostitution, usagers de drogue, migrants rejetés, discriminés, jeunes isolés.
Aujourd’hui, il existe des activistes, méprisés par les medias, comme Act Up l’a été autrefois avant qu’on ne célèbre aujourd’hui ce qu’il a apporté à la société. Cela, sur des fronts actuellement occultés, par exemple, les Indigènes de la République, les refugiés, les délinquants-solidaires mobilisés et inculpés pour leur soutien aux réfugiés politiques ou économiques, ou autour des questions de conditions de vie (logement, écologie), et dans le front du travail (le film Comme des lions).

Et nous, au Collectif les Outils du soin ?? Sommes-nous un groupe d’entraide sur le soin, ou des activistes ? Bien sûr, sans cette urgence du film, mais quand même, sans doute un peu des activistes, qui réfléchissons certes, mais qui luttons pour des transformations dans le domaine du soin, de la santé. Et cette bataille s’ancre à l’intérieur de nos corps, de notre vie, de situations concrètes et immédiates que l’on soit soignant professionnel, aidant, patient. Par exemple, se battre sur la question de l’accueil est autant une question de conditions de travail pour les professionnels que de soin pour les patients. De même, faire connaitre un courant peu connu de la psychanalyse au travers de marionnettes est une manière de lutter contre l’arrogance et la distance dont on a pu pâtir autrefois et encore maintenant dans certaines institutions psychanalytiques.

Alors, au travers et au-delà de nos cordels, nos livrets, nos vidéos, nous vous invitons à réfléchir avec nous et avec d’autres, et à imaginer comment porter haut et fort auprès de la société les luttes autour du soin, de la santé et de la solidarité.


https://www.politis.fr/articles/2017/07/philippe-mangeot-nous-avons-produit-notre-propre-legende-dact-up-37430/
https://www.politis.fr/articles/2017/07/120-battements-par-minute-de-robin-campillo-une-histoire-vivante-37431/
http://www.lesinrocks.com/2017/05/20/cinema/120-battements-par-minute-le-combat-dact-dans-une-bouleversante-epopee-11947068/


Commentaires

vendredi 22 septembre 2017 à 19h58

Après avoir écrit l’article, j’ai lu un post dans l’excellent blog "asselineau immensité" http://asselineau.blogspot.fr/ où l’auteur parle du film 120 BPM, mais aussi de la posture plus réservée d’autres acteurs de l’époque, notamment à Aides. Il évoque le souvenir de Pierre Kneip, qui lui aussi a fait un travail magnifique, en fondant la ligne téléphonique qui deviendra Sida-Info-Service. Tous ceux qui l’ont connu se souviennent de lui, de sa clairvoyance, sa capacité d’écoute, de sa présence attentive , chaleureuse. Pierre parlait peu, mais quand il parlait,cela ouvrait des horizons précieux de pertinence et d’humanité. Oui, les luttes sont plurielles.
Elisabeth Maurel-Arrighi

post du mercredi 13 septembre 2017 de Frédéric Asselineau

50 nuances de militance
Au cinéma, après avoir vu pas mal de films médiocres cet été, je suis allé voir ces jours-ci deux oeuvres que la critique honore : 120 battements par minute, de Robin Campillo, et Barbara, de Mathieu Amalric.
Dans ce dernier, un plan, vers la fin, rappelle furtivement l’engagement de la chanteuse dans la lutte contre le sida, engagement qu’elle menait avec une discrétion déterminée. Je me souviens l’avoir vue rendre visite à des malades, en catimini, un soir de Noël à l’hôpital Bichat : il était évidemment hors de question qu’une caméra ou qu’un appareil photo en témoigne.

Par un drôle de hasard, je suis amené aujourd’hui à vérifier les dates auxquelles j’ai travaillé à l’association Aides, et je plonge dans mes archives. Voila le genre d’activités qui fait que l’on me retrouve des heures plus tard assis au milieu de la pièce en train de bouquiner, n’ayant pas avancé d’un iota dans ma quête, mais ayant réouvert deux ou trois ouvrages en rapport. Ce soir c’est le livre de Didier Lestrade, Act Up, une histoire, paru en 2000 chez Denoël (et qui fait l’objet d’une réédition bien à propos), et celui de Daniel Defert, Une vie politique, sorti au Seuil (que j’avais cité ici et là). Je feuillette aussi avec émotion le numéro spécial d’une revue consacré à Pierre Kneip, publié un an après sa mort.

C’est sans doute cette question de la discrétion, loin des manifestations de rue ou des zapping d’Act Up, qui m’aura touché chez Pierre lorsque je l’ai rencontré. Sa réserve n’avait d’égale que la force de sa présence, qui faisait que chacun faisait silence pour l’écouter, lui dont la parole avançait par à-coups, par retenue, mais faisait mouche chaque fois. Engagé à Aides dès 1985 je crois, c’est lui qui avait créé la permanence téléphonique qui deviendra plus tard Sida Info Service.
Je reproduis ici le texte de Daniel Defert, écrit à l’occasion de la mort de Pierre, des lignes qui sont le portrait d’un homme et celui d’une militance tendre et austère.

"C’est un lien de pudeur et de respect qui se brise. Mais un lien de dix ans. Un lien d’amitié. Une amitié où le coude à coude a plus compté que les mots. On s’est devinés plus qu’on ne s’est connus, sauf ces brusques plongées, ces béances où nous étions submergés de nous être compris. Nous quittant aussitôt par pudeur, faute d’employer les mots des poètes qui seuls savent perpétuer les secrets et leur distance.
Il y eut d’abord la blessure de ton enfance par laquelle nous communiquions. La mienne avait été heureuse, mais avant toi, ma mère m’avait initié à ce secret des orphelins qui transforment une solitude essentielle en disponibilité infinie. Il y avait aussi bien sûr, le mystère de ton rapport à l’écriture. Un rapport coupable. Sans doute, comme Genêt, tu avais dû rêver de subvertir l’enfer par l’écriture pour en faire le paradis. Mais par un respect étrange de l’écriture, tu ne voulais pas qu’elle serve à conjurer la mort, ni même à accoucher de toi, comme une mère. Un tel bonheur d’expression t’aurait alors paru hors éthique. Je crois que tu t’étais imposé, douloureusement, le choix de l’éthique contre l’esthétique. Dans ce drame collectif, cette fois, où tu étais désormais embarqué, tu ne voulais tirer aucun bénéfice personnel, même venu de ton écriture.Tu t’infligeas, Pierre, de curieuses procédures.
Le pseudonyme d’abord*, puis l’écriture utile au service de, au service du vivre avec**. Parfois au compte-gouttes, tu ciselais une phrase, une analyse, un mot. Mais ton livre ne parut-il, et fort discrètement, qu’à l’extrême limite de tes forces, bien sûr que tu n’aurais plus même la velléité d’en ressentir une satisfaction.
Je ne voudrais pas être impudique en révélant ce mystérieux travail sur toi qui se déroulait dans l’espace et la violence de la mort et de l’écriture. Durant dix ans de notre vie associative, nous avons à peine parler de sexualité, de séropositivité, entre nous, comme si les choses essentielles pour toi s’étaient nouées déjà ailleurs et continuaient à se dérouler sur cette scène. Ta vie ayant été depuis l’enfance blessée dans l’amour, une blessure qui ne pouvait s’abolir dans l’écriture, au moins publiquement.
Ce que tu avais trouvé à Aides, et ce que tu as aussi défendu, Pierre, c’est bien un exercice éthique. Et pourtant, ta tête bruissait des mots des poètes.
dans ces dix dernières années, nous n’avons pratiquement rien partagé de ce qui fait la trame quotidienne de l’amitié : les sorties, la table, sauf ce qui était requis par les formations, les conseils d’administrations, le travail de Aides. Dans ces dix dernières années de Aides, on s’est plutôt devinés, mais je sais qu’on s’est réellement rencontrés.
C’est un des mystères de Aides d’autoriser ces formes d’amitiés fulgurantes à l’essentiel et avares de mots, qui ne pourraient probablement se soutenir nulle part ailleurs ainsi.
R., toi qui est son ami, sache que j’ai aussi perdu un intime."

Daniel Defert, texte publié dans la revue "Observations et témoignages", numéro spécial, décembre 1996 : "Pierre Kneip, la force d’une parole".

*Pierre publiait des chroniques dans le Gay Pied Hebdo sous le pseudonyme transparent de Pierre Epkin.
**Il avait écrit un ouvrage pratique aux éditions Josette Lyon, dans une collection qui s’intitulait Vivre avec.

Publié par frédéric asselineau à 13:56 0 commentaires

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