Macron face à la révolte
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Si l’on comprend bien le discours, le Président pense, qu’en France, les riches sont trop pauvres, les pauvres trop riches, les citoyens trop libres et pas assez xénophobes... Cela nous promet un bel avenir.
François Valla
Le vent de révolte qui souffle contre Macron et sa politique ne date pas d’aujourd’hui. La seule interrogation était non pas si, mais quand allions-nous y être confrontés. Néanmoins, nous sommes tellement matraqués par la toute-puissance du système que nous croyons impossible de voir survenir un jour ladite révolte. Et voilà, subitement, qu’elle advient ! Quant à prédire si ce sera une jacquerie ou la Révolution, je ne suis pas Madame Soleil !
Quatre éléments caractérisent la situation actuelle.
• Les prémisses : une soif du lucre devenue inextinguible (cf. Le triomphe de la cupidité, , J. Stiglitz, prix Nobel d’économie).
Dans le passé, on a reproché à nos modèles mathématiques de l’économie leur simplisme : maximiser le bénéfice, en tant que fonction d’optimisation. Fi donc, comment avions-nous osé réduire l’humanité à cette caricature ? Eh bien, oui, nous ne nous étions pas tellement mépris, nous avions même sous-estimé cette réalité.
L’Etalon-Argent est devenu l’alpha et l’oméga de nos existences et cela, sur tous leurs plans, privé autant que moral. Il est désormais la mesure de nos actions, de nos désirs, de nos pensées. Un système profondément inégalitaire, aux ambitions totalitaires.
En bornant notre constat au seul plan économique, cela fait maintenant des dizaines d’années que la valeur ajoutée par les progrès de productivité se voit dévorée de manière croissante et insolente par le capital, au détriment du travail. La robotisation de l’industrie, l’informatisation des services, au lieu de se traduire par davantage de rémunération du travail et/ou par une diminution du temps de travail ont conduit, au contraire, au chômage, au travail à temps partiel, à la baisse du pouvoir d’achat, à la précarisation des travailleurs.
Les délocalisations viennent aujourd’hui aggraver cette situation. Les transferts des équipements, des services, dans les pays moins développés, pour y bénéficier autant du bas coût de la main-d’œuvre que de perspectives de marchés inouïes, se révèlent être des opérations extraordinairement juteuses. Elles signent du coup la fin du fordisme en Occident : quel besoin de bien traiter ses salariés si l’on n’a plus vraiment besoin d’eux pour acheter ses produits ? Robotisation et délocalisations, avec leur cortège de chômage et précarisation, telle est la perspective offerte aujourd’hui aux masses populaires en Occident
• Deuxième facteur : face à cette mainmise du capital sur la valeur ajoutée, est venue se greffer l’incapacité de l’Etat de la réguler ou la compenser, ne serait-ce que partiellement. Au contraire, la classe politique non seulement s’est montrée incapable d’écoute, pour ne pas parler de compassion, pour les classes populaires, mais elle s’est comportée en complice pure et simple des exactions subies par les plus faibles. Le comble a été atteint par les sarcasmes d’un Macron moquant cyniquement des chômeurs trop paresseux, selon lui, pour trouver le travail les attendant de l’autre côté de la rue, supprimant l’ISF, théorisant l’effet bénéfique pour la société des « premiers de cordée »
Cette faillite de l’État est mise en rapport avec celle de la démocratie représentative. Il est de fait que ce système a remis le pouvoir entre les mains d’un personnel politique plus enclin à se perpétuer, qu’à remplir son mandat, plus prompt à cultiver les inégalités qu’à servir l’intérêt général. Et jusqu’ici, les partis ont été incapables d’inventer et encore moins d’expérimenter de nouvelles formes participatives de gouvernement. Comment s’étonner alors de la méfiance témoignée récemment par les gilets jaunes vis à vis de leurs propres représentants ?
• Troisièmement, le Président paie ses dettes. Eh oui, car Macron n’est pas sorti du chapeau par hasard, tout de même. Il n’est que de se rappeler le coup de main des assureurs, eux aussi en paiement d’une dette antérieure qu’ils avaient contractée vis à vis du même Macron, alors ministre de l’Économie de Hollande. Lequel Macron, en effet, leur avait offert sur un plateau le passage par leurs services en créant l’obligation pour les entreprises d’inscrire leurs salariés dans les complémentaires santé (accord dit de l’ANI), oubliant au passage que la Sécu existait et qu’elle pouvait offrir le même service pour trois à quatre fois moins cher (voir le régime complémentaire Alsace-Moselle et notre livret sur les Complémentaires, page 13). Et voir ensuite comment les mêmes assureurs s’étaient acquittés de leur dette, dans un premier temps en soutenant la candidature de Fillon, pour dans un deuxième, rallier Macron sous la houlette de l’ex PDG d’AXA, dit le « parrain » du patronat français. Après cela, Macron pouvait-il décemment faire moins que supprimer l’ISF pour des affidés tellement complaisants ? La moindre des choses…
• Enfin, quatrième et dernier facteur, circonstance aggravante et explicative pour une part non négligeable du comportement des classes dirigeantes : leur incapacité congénitale à traiter avec la révolte. Pourquoi congénitale ? Parce que ces « élites » ont été façonnées, sélectionnées, recrutées par un système stérilisateur, qui les a rendues incapables de faire front à des situations nouvelles. Le moule formateur de l’ENA et autres Grandes Écoles où se fournit la classe dirigeante est un système dans lequel on apprend à se comporter très efficacement face à un nombre restreint et répertorié de situations connues. En revanche, on est perdu si, par malheur, il s’agit d’affronter une situation nouvelle.
C’est typiquement la mésaventure advenue au même Macron, devenu le jouet de mouvements qu’il ne déchiffre plus avec les grilles apprises… Et le voilà, jurant un coup de ne jamais reculer sur la fiscalité écologique pour, trois jours plus tard, annoncer le contraire, désavouant au passage, sans la moindre élégance, son propre premier ministre envoyé au charbon pour prôner la fermeté.
Simultanément, le même Macron, toujours en retard d’une guerre, continue à s’arcbouter à sa décision d’abroger l’ISF et à sa volonté de supprimer des postes de travail dans les services publics, sans comprendre à quel point les révoltés sont excédés par l’injustice fiscale comme par le bradage de ces mêmes services publics.
En résumé,
o un système à la fois profondément inégalitaire et moralement totalitaire,
o une crise de la démocratie représentative, se traduisant par un mode de gouvernance rejeté par la population,
o une porosité maffieuse entre les plus hauts personnages de l’État et le grand patronat,
o une incapacité congénitale à concevoir des sorties de crise acceptables. Et, mieux encore – n’ayons pas peur des mots ! – inventer le monde de demain.
P.S.1
Je ne me serais peut-être pas décidé à écrire ce texte n’était-ce le documentaire La dignité du peuple, de Fernando Solanas vu récemment. Le spectacle des masses populaires réduites aux égouts et taudis, les paysans expropriés par les banques, les usines fermées. Le tout, en Argentine, pays tout de même riche, mais surtout riche en inégalités ! Le sort qui nous est promis en Europe, avec quelques années d’avance ? Mais, simultanément, quel message d’espoir et de courage que celui que nous envoient ces paysannes qui défient leurs juges, ces hommes et ces femmes qui construisent, en dépit d’effroyables conditions de vie et même d’assassinats, partages et solidarités !
P.S.2
Du rôle de la violence dans le processus de la contestation.
On aime ou on n’aime pas. Mais en fait, on n’a pas le choix, les casseurs ne nous demandent pas notre avis et parfois, ne les a-t-on pas vu agir sur ordre de l’État lui-même ! II semble que l’on soit dans une situation qui s’emballe. La violence qui se fait jour est celle qui accompagne dans l’Histoire les bouleversements révolutionnaires. On peut la désapprouver, mais on ne peut nier qu’elle ait grandement facilité l’ascension des gilets jaunes, même s’ils y sont opposés. Malheureusement, l’Histoire de la Révolution est aussi une Histoire de violence, elle qui dévore ses enfants, selon un scénario maintes fois répété. Y échapper, tout en préservant l’idéal révolutionnaire lui-même, serait un objectif digne de ce mouvement qui se veut révolutionnaire dans tous les compartiments du jeu, donc aussi celui-là. Là serait la nouveauté !
P.S.3
Je ne vais pas me lancer ici dans l’analyse de ce que sont ou ne sont pas les gilets jaunes. D’autres, plus compétents que moi, se chargent de le faire. Ce que je vois, en tout cas, c’est la propension des media à faire la part du pauvre à leurs revendications sociales, Quitte, à longueur d’antenne, à leur imputer les maux et violences dont les auteurs premiers ne sont ni les gilets jaunes, ni les casseurs, mais les provocations de l’exécutif, avec la complicité active de la représentation nationale. Et cela ne date pas de Macron, même si ce dernier a aggravé les choses, au point de les théoriser.
Car, qui a réduit à peau de chagrin l’impôt progressif sur les revenus– au point que même aux Etats-Unis, Mecque du capitalisme, sa part dans les ressources fiscales dépasse la nôtre –. ? Et pour ce faire, qui a promu, sans vergogne et depuis des années, les taxes et impôts indirects pesant indistinctement et de la même façon sur les différentes couches sociales de la population quels qu’en soient les revenus ? Et qui, enfin, a aboli l’ISF ?
Alors, quand les media entonnent, à l’unisson avec les privilégiés, l’antienne du Trop d’impôts, ou Il est indispensable de réduire nos dépenses publiques, je me félicite, a contrario, d’entendre les gilets jaunes revendiquer, non pas la baisse des impôts, mais la justice fiscale et le maintien des services publics dans les territoires ruraux !
Image ci-après : photo prise par Danielle dans le métro…
- A bon entendeur... Salut !
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