Cordel 81 : Y croire encore, malgré tout
par , ,
popularité : 2%

Pourquoi, même si la vie est difficile, voire très difficile, certains arrivent à y croire encore malgré tout et d’autres non, ou pour le dire autrement, comment sortir du désespoir ? Et quelles seraient les conditions de l’espoir ?
Les situations de désespoir
Il est des gens pour qui le danger vital, l’insécurité font partie du quotidien et qui perdent tout espoir par une accu-mulation de chagrins, de peurs, d’échecs dans leur vie personnelle, avec en plus, en arrière fond, l’inquiétude pour le climat et le situation politique. Pour certains, ce sont des raisons extérieures, de guerre, de tremblement de terre, de famine, de misère et parfois, c’est tout cela en même temps.
Pour d’autres, c’est un climat familial de terreur, de solitude dès l’enfance. Donald Winnicott dit cette phrase très impressionnante : « c’est une chose terrible et pourtant vraie qu’il n’y a parfois pas d’espoir pour les enfants, tant que les parents sont en vie ». Dans certaines configurations familiales « mortifères », où la joie est bannie, et où règne la mort (ouThanatos), Piera Aulagnier le formule autrement : « Pour le sujet, se maintenir en vie, se préserver vivant, ce serait un crime de lèse-Thanatos » comme si la mort était la Majesté. Ne pas lui obéir serait un crime de lèse-la-mort, un crime de lèse-majesté.
Certaines personnes sont dans ce désespoir-là. De surcroit, ils, elles pensent que c’est de leur faute, et qu’ils elles sont incapables. Car elles ne peuvent pas comprendre en quoi l’impact des traumatismes passés a conduit leur entourage familial ou social à faire disparaître leur élan vital.
Le rôle des illusions positives ou comment construire la capacité d’espérer chez l’enfant
Ce qui est important de comprendre en premier lieu, c’est de voir comment se construit la capacité d’espoir, de con-fiance en soi et dans la vie. Elle se construit dès les premiers jours. Sigmund Freud a une phrase heureuse à ce sujet : « sa Majesté le Bébé ». Et Donald Winnicott va plus loin. Il précise que c’est la mère qui donne ce sentiment de toute puissance à l’enfant : « Au début la mère, par une adaptation quasi à 100% permet au bébé d’avoir l’illusion que son sein à elle est une partie de lui, l’enfant. Le sein est pour ainsi dire sous le contrôle magique du Bébé. L’omnipo-tence est presque un fait d’expérience » Petit à petit, le rôle de la mère sera d’aider l’enfant à prendre conscience de la réalité et de sortir peu à peu de ses illusions d’être le créateur du monde. Ce n’est pas du tout l’histoire de l’enfant-roi. Ce dont on parle ici, ce sont des enfants qui ont eu tout-petits des illusions positives qui leur ont donné de la force et de la confiance.
Les illusions négatives, les meurtres d’âme, les trahisons
Il est des adultes qui se font des illusions, mais des illusions négatives. Ils vivent alors dans des mirages, et croient au Père Noël. Et cela ne les aide pas. Ce sont souvent des personnes encore prises dans leurs traumatismes qui ont per-du leur lucidité, leur clairvoyance, On peut dire qu’elles ont vécu des « meurtres d’âme », comme le décrit le psycha-nalyste Philippe Réfabert. « Dans l’exemple de l’enfant pris dans le cache-cache surprise diabolique, les parents se ca-chent exprès sans prévenir leur enfant, jouissent en secret de leur pouvoir sur lui, de la terreur où leur disparition le met, et se présentent ensuite comme sauveurs, comme si de rien n’était. L’enfant alors n’a pas de témoin pour dire ce qui s’est passé, et lui-même il ne peut pas être son propre témoin ». La personne aura alors bien du mal plus tard à distinguer ceux et celles qui l’aident vraiment et ceux et celles qui lui mettent la tête sous l’eau. Les personnes ont été attaquées sur leur meilleur. Ce sont des trahisons. Et c’est cela qui fait le lit du désespoir.
Les conditions pour sortir du désespoir ?
Le paradoxe, c’est que on ne peut aider quelqu’un à sortir du désespoir que si on a vraiment entendu la profondeur et l’intensité de ce désespoir. Mais être là, c’est une écoute, une présence et un mouvement véritables.
L’aide peut être apportée par un proche, un amour, ou/et un psychothérapeute. Si la rencontre amoureuse est en effet souvent l’occasion de renouer avec l’espoir, néanmoins la rencontre avec un psychothérapeute s’avère fréquemment nécessaire pour sortir des gros désespoirs et des scénarios désespérants. Le psychothérapeute, c’est quelqu’un qui accompagne le patient dans le long cheminement pour trouver du sens à son histoire, pour identifier les émotions sans trop se laisser submerger, et pour aider à prendre appui sur ses ressources. La psychanalyste Françoise Davoine rappelle que l’ « expectancy » fait partie des principes qui aident à sortir du trauma : « Le terme d’expectan-cy sert à exprimer l’espérance de vivre, dans un horizon dont la vie semble bannie. C’est l’attente qu’une autre personne prenne le relais quand vous n’en pouvez plus, sur laquelle vous comptez comme sur vous-même et plus en-core, pour vous nourrir, pour vous calmer. Manger, boire, dormir, les besoins vitaux sont les seuls qui semblent compter, mais ce ne seraient que du nourrissage mécanique sans le visage, la voix, le geste ou le regard ». On connait la situation de personnes dont il faut se préoccuper des besoins vitaux : téléphoner tous les jours pour les encoura-ger à faire chauffer une soupe, passer demander si on elle a besoin de quelque chose… Ce sont souvent les petites choses qui aident à redémarrer un processus d’espoir.
Alors on peut imaginer sortir du désespoir, oser espérer et changer ce qui peut être changé
Citations
« Le questionneur : Vous n’avez plus d’espoir ?
Sondos : Tu me donnes de l’espoir comme on donne une pelote à un chat et pendant qu’il s’amuse avec, tu regardes ailleurs et tu fais ta cuisine… »
Bernard Bloch dans La Situation (Jérusalem-Portraits sen-sibles), 2021
« Il n’y a pas d’espoir sans crainte ni de crainte sans espoir. »
Baruch Spinoza
« La profondeur du bouleversement qu’elle suscitait en moi m’amenait, pour la première fois, à oser m’interroger sur le bonheur, la joie, à oser, presque espérer ; je ne voulais pas espérer. Je ne savais pas comment me l’interdire »
James Baldwin dans Harlem Quartet, 1979
« Aux pentes des collines, face au crépuscule et au canon
du temps Près des jardins aux ombres brisées, Nous faisons ce que font les prisonniers, Ce que font les chômeurs : Nous cultivons l’espoir. »
Mahmoud Darwich
Et l’espoir au niveau de la société ?
La compagnie Les Maladroits, compagnie de théâtre et de théâtre d’objets, composée de 4 comédiens, aborde la question de l’engagement et de l’espoir face aux turbulences du monde, au travers de spectacles où les images répondent aux mots, les mots aux images. Après Frères sur la guerre d’Espagne et Camarades sur les luttes autour de Mai 68, Joueurs, leur nouvelle création clôture ce cycle de trois spectacles sur l’engagement, les utopies et l’héritage. Ils évoquent la façon dont l’espoir traverse les individus et le collectif.
Benjamin Ducasse :« J’aimerais que l’on raconte ce que c’est que d’être dans le militantisme. C’est quoi la vie de quelqu’un qui milite ? Les états émotionnels et la notion d’épanouissement dans les activités d’un militant m’intéressent. Apres avoir raconté la formation d’un engagement dans Camarades, j’ai envie de voir ce qu’il provoque chez l’individu. Je veux raconter ce qui est à l’oeuvre lorsqu’on s’engage corps et âme pour une lutte ; j’aimerais montrer la peur, la révolte, le soulagement, la persévérance… »
Hugo Vercelletto :« La radicalisation de l’engagement est un aspect qu’il m’intéresse de questionner ; Un engagement peut-il aller trop loin ? Jusqu’où faut-il aller pour avoir gain de cause, pour être entendu ? Donner sa vie pour une lutte, est-ce de la folie ou de l’abnégation ? [..] A l’heure d’un pessimisme médiati-sé sur l’état de la planète, sur les extrémismes religieux et les conflits armés, les dérives sécuritaires, le repli identitaire ou l’ultralibéralisme, comment garder un certain optimisme pour les générations à venir ? Comment faire en sorte que nos enfants aient à leur tour des utopies ?
Questions pour aujourd’hui sachant que le fond de l’air est souvent un peu trop frais (ou un peu trop chaud)
L’espoir, un remède à double tranchant ?
Pour endormir ou pour réveiller ?
Comment espérer
sans être dans une naïveté béate ?
Comment espérer en étant clairvoyant,
au niveau individuel et au niveau collectif ?
Comment espérer
quand voir est inquiétant
et changer difficile ?
Comment ne pas être réduit
à un oiseau de mauvais augure
quand on pressent un danger ?
Comment trouver les parades face aux dangers,
pour soi ou/et pour les autres ?
Comment voir les difficultés,
mais aussi les ressources ?
ce cordel vient en écho avec la video du même titre pour préciser les notions abordéeshttps://outilsdusoin.fr/spip.php?ar...
Cordel n° 81 écrit par Elisabeth Maurel-Arrighi, psychanalyste, avec Rochelle Monnier-Moricet , professeure de lettres en lien avec l’épisode 37 de la vidéo de la chaine Psychanalyse et marionnettes : « Y croire encore malgré tout »
www.outilsdusoin.fr juillet 2023, Collectif Outils du soin
cordel : petit fascicule brésilien de poèmes ou écrits subversifs accrochés à une corde à linge et vendus dans les marchés
ce cordel peut, comme tous les autres cordels, être imprimé, en un A4 recto verso, plié en 4, à mettre dans sa poche, à lire, à partager, à accrocher sur une corde à linge dans des salles d’attentes, des lieux de soin, des lieux publics, des facultés, des locaux syndicaux. Cet outil en accès libre est destiné à toutes celles et tous ceux qui s’intéressent à la question du soin, du corps, et de la société.
pour l’imprimer cliquer sur la vignette ci contre
Commentaires