cordel 83 La part d’ombre

jeudi 21 mars 2024
par  Elisabeth Arrighi, Outils du soin, Rochelle Moricet-Monnier
popularité : 10%

Voir notre part d’ombre, la nôtre ou celle des autres, savoir qu’on est capable du meilleur comme du pire, ce n’est pas facile, mais c’est utile. Comment l’identifier, s’y confronter ?
ce cordel est en lien avec la video "la part d’ombre"
https://www.outilsdusoin.fr/spip.ph...

Une double signification,
D’abord et surtout, les pensées négatives qu’on a toutes et tous, l’envie, la haine, le rejet,... avec parfois les actes qui peuvent en découler. Ensuite, la part de mystère, d’incertitude avec laquelle on chemine dans la vie.

Différents concepts pour une spécificité de la nature humaine

Les psychanalystes ont tous proposé des concepts pour éclairer cette notion d’ombre et de lumière, pour dire cette double potentialité : construire et détruire.
Sigmund Freud évoque « la pulsion de mort » opposée à la pulsion de vie.
Sandor Ferenczi parle de l’impact d’un traumatisme avec clivage et « identification à l’agresseur » dont l’ombre peut continuer à planer sur la victime
Donald Winnicott explore l’apprentissage de la puissance d’agir entre « destructivité et constructivité ». C’est l’occasion de voir le parent comme diffèrent. Mais l’ombre vient par le manque de limites posées par le parent quand il est trop pris dans ses propres traumas et ne sait pas « survivre à la haine de son enfant. »
Nicolas Abraham et Maria Torok identifient la trace des traumas transgénérationnels, avec les effets de fantômes et de cryptes qui se révèlent à notre insu. Pour Philippe Refabert, lui, souligne que l’ombre vient de ce que « le parent ignore en lui-même et transmet malgré lui sous le tapis, en contrebande. »
Mélanie Klein, propose « « l’identification projective » où le nourrisson projette chez la mère, le parent sa propre frustration et colère, où ensuite plusieurs parties du soi peuvent être projetées chez l’autre à la fois pour se débarrasser de ses parties "mauvaises" à l intérieur de soi et pour attaquer et détruire l’autre.
Carl Jung voit l’ombre comme une personnalité cachée, réprimée, que l’on refuse de reconnaitre en nous. Elle peut contenir "des parts moralement réprehensibles" (jalousie …) et aussi du positif("bonnes qualités, perceptions réalistes...)

Une clairvoyance nécessaire face à la cécité qui entoure l’ombre
il est des effets de mafia, d’occultation , d’imposture qui entourent et cachent l’ombre. Ce n’est pas facile de la dévoiler. Parfois, on n’ose pas être clairvoyant. On croit que ce serait trop triste de voir tout ce qu’il y a à voir et qu’on serait désespéré. Pour échapper à la dépression, à la détresse, beaucoup de gens renoncent à la clairvoyance. Ils sont dans le déni de ce qui est arrivé.

Quand on ne sait pas se défendre de la part d’ombre d’un autre
Quand la part d’ombre des autres tente de nous menacer, Il suffit parfois de dire clairement les choses pour que le processus s’arrête. Mais d’autres fois, pour des raisons de ses propres traumas, on peut avoir peur de l’affrontement, des représailles, du rejet. Avoir des alliés peut alors donner de la force pour savoir dire stop. Mais d’autres fois encore, on est la proie d’un prédateur dans le domaine familial, amoureux , social, professionnel. Ce sont les pervers narcissiques qui se mettent à l’abri de leurs propres conflits internes en se faisant valoir aux dépens de leur entourage. Ils manipulent, exploitent l’autre. Quand le prédateur est entièrement barricadé dans une volonté de pouvoir, voire d’écrasement de l’autre, dans ces cas-là, le salut ne vient que de la fuite ; il faut savoir s’éloigner de ces personnes-là. Ce qui rend les choses difficiles, c’est que souvent les pervers isolent leur victime qui ne sait pas où trouver refuge.

Les conditions du choix de la lumière
Des outils et des appuis sont nécessaires pour oser affronter les émotions de peur, de détresse ou de fascination qui entourent l’ombre. Si on rencontre quelqu’un qui comprend ce qui est arrivé, qui sait que la destructivité fait partie de la vie autant que la constructivité, c’est moins difficile. Notamment en étant conscient que cette part d’ombre existe, à la fois à l’intérieur de soi et aussi chez les autres. C’est la question de la tension entre la tentation et la fascination de l’ombre et l’appel et le désir de la « lumière ». Savoir qu’on pourrait être capable de faire le mal, mais choisir de ne pas le faire. Comme le dit Neige Sinno, « Si on avait le choix, qui ne choisirait pas le tigre plutôt que l’agneau ? Cependant si je tendais vers ce devenir de dominé devenu dominant, de guerrière qui se relève et se venge, est-ce que je ne risquerais pas d’écraser à mon tour plus petit que moi ? Comment faire pour s’élever à une plus grande puissance sans que cela tourne à l’oppression d’un autre ? Comment transcender le mal dans la douceur et non dans un nouveau mal ? »
Pour se rendre compte de cela, il faut l’éprouver avec un autre, un proche, quelqu’un de la famille, un ami… ou un thérapeute. Cela est un des rôles des thérapeutes. Quand on est pris dans l’envie, le ressentiment, le rôle du thérapeute est de tenir bon. Comme le dit Donald Winnicott : « dans la pratique psychanalytique, les changements positifs peuvent être profonds. Ils ne dépendent pas du travail interprétatif, mais de la capacite qu’a l’analyste de survivre aux attaques, ce qui implique l’idée de survivance à leur destructivité, d’absence de représailles. » Cela ouvre des chemins.

Au niveau de la société

Cette mise à distance de l’ombre est une affaire de longue haleine, au niveau individuel, mais aussi au niveau collectif. Encore et encore, la tentation de l’ombre plane trop souvent sur les sociétés. Sortir de la fascination et de la peur dans sa propre vie peut aider à ce que collectivement d’autres choix soient faits.

L’ombre vue par des écrivains

« Le positif nous a déjà été donné. Il nous incombe encore de faire le négatif. » Franz Kafka

« Face à la terrible, l’indicible, l’impensable banalité du mal, […]l’être humain ne doit cesser de penser. S’il cesse de penser, chaque être humain peut agir en barbare. » Hannah Arendt

« Ils ne se tenaient pas par la main, mais leurs ombres, si. […] Personne à part Sethe ne le remarqua et elle ne cessa de les contempler qu’après avoir décidé que c’était bon signe. »
Toni Morrisson Beloved (un homme et une femme, anciens esclaves se retrouvent des années après.)

« L’ombre est sur le monde. L’ombre pousse des communautés à s’affronter, à fuir leur terre natale. les générations à naître sauront qu’il fallait prendre la fuite pour se garder des rapaces. On leur dira : la déraison s’est emparée du monde, mais certains ont refusé d’habiter les ténèbres. » Léonora Miano La saison de l’ombre

« Je viens d’un lieu de ténèbres un lieu auquel j’ai essayé d’échapper[..],mais où je me rends en fermant les yeux. [..]Je sais désormais que ce lieu n’est pas le mien. Il m’appelle, prétend que je suis sa chose, qu’il m’a enfantée, nourrie, façonnée, Mais c’est un mensonge, un piège.[..] J’en ai fini avec le caché, avec le silence. »
Monica Sabolo La vie clandestine

Cordel écrit par Elisabeth Maurel-Arrighi, psychanalyste, et Rochelle Monnier Moricet , professeure de lettres
en lien avec l’épisode 38 de la vidéo de la chaine Psychanalyse
et marionnettes : « la part d’ombre » www.outilsdusoin.fr
Cordel 83 Collectif Outils du soin Mars 2024

Extraits du livre de Neige Sinno : Triste tigre ed P.O.L.

Le monde normal
et l’autre lieu, le pays des ténèbres

« A la question de savoir pourquoi les soldats commettaient les pires exactions sur les sites de conflits, j’ai entendu une fois un grand historien spécialiste des deux guerres mondiales répondre : parce qu’ils le peuvent. C’est une réponse qui pourrait n’avoir l’air de rien mais il disait cela avec une mélancolie profonde, résultat d’une vie de recherches sur la guerre, le mal, la violence. Ils violent parce qu’ils peuvent, parce que la société leur donne cette possibilité, parce qu’on leur a donné l’autorisation, et que quand un homme a la permission de violer ,il viole. Comme si le mal était une potentialité toujours présente en nous et que, dans les conditions de possibilité de barbarie, la barbarie se manifeste automatiquement. » p 192

« Devant le déséquilibre des forces, on n’a pas le choix. Il y a n temps où on doit se cacher, attendre dans l’ombre, fuir si on peut. Un jour vient le moment où on peut s’échapper. on s’échappe, on se met à l’abri. Mais c’est une sensation étrange que d’être à l’abri quand on sait que l’obscur ne cesse pas d’exister quand on le quitte. Un peu comme le dit Reinaldo Arenas quand il parle de l exil : on a quitté une maison en flammes, on se sauve, on se retrouve sur une terre d’accueil, sain et sauf. Mais pendant ce temps, la maison a continué à brûler. » p 231
« C’est un monde où victime et bourreau sont réunis. Je crois que ce sont les mêmes ténèbres, ou presque les mêmes. C’est un monde où l’on ne peut pas ignorer le mal. L’ignorer ou l’oublier n’est pas une option, car plus on le fuit, plus vite il vous rattrape au détour du chemin.
Mais on peut se maintenir au bord sans y pénétrer. Apprendre à rester sur le seuil de ce monde, voilà le défi, marcher comme des funambules sur le fil de nos destinées. Trébucher mais, encore une fois. Ne pas tomber. Ne pas tomber. » p 276

« Comme des milliers de gens, j’ai été violée, bafouée à l’âge où on n’a pas d’autre choix que de faire confiance, et pourtant une fois adulte, je n’ai violé ni bafoué ni trahi personne en retour . Nous protégeons de notre mieux les enfants autour de nous, nous poussons les obstacles qui se présentent sur leur route. Nous affrontons, avec courage, les questions qui se posent les unes après les autres. Nous défaisons la trame du silence avec nos petites mains, nous nous attaquons aux nœuds les plus coriaces avec patience. Il y aura toujours des nœuds. » p 268

[…] C’est la possibilité de cette autre dimension invisible qui n’est plus cette fois menace et horreur mais une dimension d’amour.je crois moi aussi en l’existence de cette secrète bienveillance. Je la pratique moi-même quand cela m’est possible, comme une revanche contre le mal qui m’a été fait en silence. Et je sais d’autres gens du peuple des ombres font la même chose, chacun et chacune dans le coin où il y a été donné de vivre. » p 274


des liens avec des interviews de Neige Sinno qui nous a été precieuse dans l’elaboration de ce cordel
https://www.outilsdusoin.fr/spip.php?article790

vous pouvez imprimer ce cordel , comme tous les autres cordels, sur une page A 4, recto verso , pliée en quatre pour en faire un petit livret à à l’image des cordels brésiliens , fascicules de poèmes ou d’écrits subversifs accrochés à une corde à linge et vendu dans les marchés
encliquant sur la vignette cijointe


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