cordel 84 : Face à la grossophobie
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Les personnes grosses souffrent et subissent des discriminations systématiques dans toute la société. Quand on est gros.se, comment mieux se défendre ? Comment lutter contre la grossophobie ordinaire et les préjugés inconscients ? Quand on est dans l’entourage de personnes grosses ou qu’on est soignant.e, comment mieux les « traiter » dans tous les sens du terme ?
Des préjugés à démonter
Pour beaucoup, les personnes grosses seraient responsables de leur obésité : elles mangeraient trop, mangeraient mal, trop gras, trop sucré, ne bougeraient pas assez, manqueraient de volonté. Il faudrait mettre les enfants au régime dès qu’ ils dépassent la courbe de poids dit normal.
Une méconnaissance des causes multiples de l’obésité
On sait aujourd’hui que l’obésité a différentes causes, plus ou moins associées selon les personnes : des origines
génétiques, familiales, métaboliques (certaines personnes brûlent très peu les calories qu’elles mangent), hormonales, stress, troubles du sommeil, dérèglement de la flore intestinale, troubles du comportement alimentaires, traumas,
maltraitances, abus, violences sexuelles (que l’on retrouve fréquemment dans l’enfance et le passé des personnes grosses). Certains médicaments ont un impact sur le poids (cortisone, psychotropes, traitements hormonaux...). Les
problèmes économiques font privilégier les aliments peu coûteux, souvent trop sucrés, trop salés, trop gras et à fort index glycémique. L’industrie alimentaire suscite sciemment des addictions.
Une violence généralisée à dénoncer
Du fait des préjugés, les personnes grosses, enfants, adolescents, et adultes sont en butte à des moqueries, du rejet, du harcèlement à l’école, en famille, au travail, dans les transports en commun, dans la rue. Les statistiques montrent que les personnes grosses ont moins de chance de trouver un emploi, et à compétences égales sont moins bien payées. Le re-tentissement peut être dramatique en termes de manque de confiance en soi, d’isolement, de souffrance morale, de honte, de rage impuissante...
Le culte de la minceur véhiculé par la publicité, les magazines féminins, le regard de la société patriarcale qui considère la femme comme un objet sexuel qui doit répondre à certains critères, par leur violence, participent de cette emprise.
Tout se passe comme si on n’avait pas le droit d’exister si on ne répond pas aux injonctions des normes.
Une maltraitance trop fréquente de la part des soignants à repérer
Alors que comme toutes autres personnes, les personnes grosses auraient besoin de trouver aide et soutien auprès des médecins, ils rencontrent trop souvent de l’agressivité, une méconnaissance des phénomènes physiologiques, et un manque d’écoute. En gynécologie, le manque de respect est encore trop fréquent.
Sous prétexte que l’obésité est un facteur de risque médical parmi d’autres, trop souvent les médecins substituent le « faire peur » au « prendre soin ».
Les conditions de l’accueil et le matériel ne sont souvent pas adaptés, sièges étroits avec accoudoirs, balance limi-tée, table d’examen pas assez solide, brassard à tension pas assez grand ; cela nécessite un budget, mais il est indispen-sable à l’accueil des personnes en situation d’obésité.
L’absence d’écoute : beaucoup de médecins se focalisent sur le poids, reliant tout au surpoids, sans écouter la
demande des patients, et tout en pensant bien faire, deviennent intrusifs.
Des fausses solutions sont majoritairement proposées :
Les régimes avec des différentes modes d’exclusion de certains aliments. On sait aujourd’hui que les pertes de poids rapides entraînent un rebond et que les personnes reprennent leurs kilos avec un bonus.
Les chirurgies bariatriques comme le bypass et la sleeve gastrectomie tentent de réduire l’absorption des aliments en enlevant une partie du tube digestif . Elles nécessitent un suivi à vie et comportent des risques à long terme comme les carences vitaminiques, (certaines exposent à des neuropathies irréversibles), des sténoses anastomotiques, une reprise pondérale et des troubles psychiatriques..
Des médicaments nocifs : on se souvient du Mediator avec ses graves complications cardiaques sciemment cachées par les firmes pharmaceutiques. Des produits prétendument miraculeux deviennent des niches financières.
Ce parcours du combattant aboutit pour beaucoup de personnes grosses à une situation de non droit aux soins où par peur de violence médicale, elles ne consultent plus.
Que faire pour sortir de la grossophobie ? Quels alliés ?
Quand les discriminations s’accumulent (le genre, la couleur de peau, les origines sociales, les orientations sexuelles...), il est encore plus difficile de sortir l’obésité, de l’invisibilité et de la honte. Faire alliance devient précieux. Aujourd’hui, des mouvements de personnes grosses ont émergé pour rendre visible leur combat comme l’association « Gras politique »...
De même, des soignant.es peuvent se mettre à l’écoute des personnes grosses, se rendre compte de la maltraitance habituelle qu’elles subissent, avoir la curiosité de s’informer des découvertes des chercheurs et changer leur attitude et leurs conseils (association « GROS »). Considérer les personnes grosses comme les autres patient.es avec leurs différents motifs de consultation. Quand on se propose de parler du poids avec un patient consentant, être conscient que c’est complexe, que chaque obésité est différente et que les propositions doivent être adaptées à chacun.e.
Quelques citations
« Cette grosse fille qui se tapait sur les cuisses dégageait autour d’elle une odeur de vie, une toute puissance de femme dont le public se grisait. »
Emile Zola, Nana, 1880
« Les gros rigolos ! Au fond, l’immense foule des maigres les hait et les jalouse. Voilà la rançon d’un teint frais, d’une bouche vermeille, d’un visage plein et reposé. »
Henri Béraud, Le Martyre de l’obèse, 1922
« Son corps semblait s’être développé comme les alen-tours d’un village dont elle se serait désintéressée. »
Felisberto Hernandez, Les Hortenses, 1947
« Mon corps ne comprend que l’horizon. L’ascension verti-cale lui est quasi impossible. Mon ventre, mes fesses, mes hanches, tous s’évertuent à atteindre les bornes lointaines du monde. C’est là leur plus grande ambition. Pour moi, c’est une prouesse. Pour les autres, un échec d’une rare violence »
Ananda Devi, Manger l’autre, 2021
Un témoignage parmi tant d’autres
Cela a commencé enfant, vers l’âge de 6 ans. Mon médecin de famille a décidé que j’étais en obésité infantile alors que sur les photos, je suis juste une petite fille « bien portante ». Donc, ont commencé les privations alimentaires par ma maman pour que je maigrisse. J’ai eu très faim souvent.
Quand j’allais voir ce médecin de famille, peu importait la raison, tout finissait sur mon poids qui était responsable de mes maux : mes migraines depuis mes 11 ans, mon accident de rugby à 13 ans où on m’a refusé de la rééducation… Si je perdais du poids, ça irait.
Adulte, je change de médecin parce que j’en ai marre des discours moralisateurs. Je finis par avoir un super médecin qui m’écoute et ne rapporte pas tout à mon poids. Enfin !!! J’ai dans les 25 ans environ et je me sens enfin à l’aise avec un médecin...
Le problème c’est que j’ai développé une sorte de phobie médicale... Tant que mon docteur peut gérer mes problèmes, tout va bien mais dès qu’elle m’envoie vers des spécialistes, je traîne, je perds mes ordo, je prétexte un manque de temps... Je pense qu’elle savait tout ça mais qu’elle me laissait le temps de faire les choses. Alors petit à petit, j’ai réussi.
j’ai été suivie médicalement et psychologiquement. J’ai compris que si j’avais grossi autant en fin d’adolescence, c’est pour 2 raisons : j’ai subi de la maltraitance alimentaire durant un bonne partie de mon enfance depuis mes 6 ans jusqu’à l’âge adulte et la deuxième, j’ai vécu de l’inceste avec mon père…
J’ai subi une chirurgie bariatrique, j’ai perdu du poids. Bizarrement, les échanges avec le corps médical ont évolué... On m’écoute davantage. Mais les stigmates vécus font que malgré tout aujourd’hui, c’est compliqué d’aller vers le médical pour moi. C’est vraiment quand cela devient compliqué dans le quotidien que je me bouge pour faire les analyses nécessaires.
Merci à Stéphanie pour son témoignage
Trouver des alliés, ne pas rester seul.es
Des associations :
*Le GROS, Groupe de Réflexion sur l’Obésité et le Surpoids, regroupe des thérapeutes pour proposer une alternative aux prises en charges fondées sur des objectifs à court terme. Il organise des formations pour les soignant.es, mais aussi met en ligne des conférences, des podcasts pour le public. https://www.gros.org
*GRAS politique, association de lutte militante contre la grossophobie systémique dans un cadre queer et féministe qui s’élève contre toutes les formes de discriminations. L’association GRAS propose des documents pour aider les soignants à mieux traiter les personnes grosses, rassemble des témoignages, des expériences de personnes grosses.
Elle édite un podcast passionnant : « Matière grasse », une série autour d’une thématique différente à chaque épisode ; expériences et histoires de vies précieuses et qui méritent d’être racontées. https://graspolitique.fr
Des podcasts, des films :
« Le Serment d’ Augusta » un podcast pour réinventer ensemble la relation soignant·e soigné·e, en partenariat avec Sorbonne Université et la Fondation APHP, Le Serment d’Augusta | 1 : Je penserai les corps en dehors de la norme - Programme B - Binge Audio, écrit pour les étudiants en médecine, mais qui offre des pistes de réflexions à toutes et tous.
« Régimes, une vérité qui dérange »
Documentaire Infrarouge - "Régimes, une vérité qui dérange" - 1ère partie (youtube.com) sur YouTube
Cordel écrit par Claudia Berchenko, Raphaele Blondiau, et les participantes au café-cordel du Collectif « Outils du soin » du 5 Avril 2024
www.outilsdusoin.fr Cordel n°84, juin 2024
illustration : Claudia Berchenko
pour imprimer ce cordel, en feuille A4, recto verso et ensuite à plié en 4 pour devenir un petit fascicule à l’image des cordels bresilens, fascicules de poemes ou d’ecrits subversifs, accrochés à une corde à linge et vendus dans les marchés
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