Cordel 87 : Si une femme veut avorter, ne la laisse pas seule
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C’est cette idée qui a permis que l’avortement soit enfin autorisé en France en 1975.
Auparavant, les femmes qui ne voulaient pas garder une grossesse prenaient des risques.
Si elles avaient de l’argent, elles allaient à l’étranger (en Angleterre où c’était légal depuis 1967, en Suisse aux Pays-Bas ou en Belgique où des médecins les faisaient). Les autres se débrouillaient, seules ou aidées par des personnes souvent mal équipées, et risquaient parfois leur vie, leur santé, et des peines de prison. Jusqu’à ce qu’après 1968, des groupes de femmes associées à des médecins, des infirmier.es et des citoyen.nes créent le Mouvement de Libération de l’Avortement et la Contraception, se chargeant à la fois de rejoindre les féministes dans leursmanifestations, et de faire des avortements au grand jour, dans de bonnes conditions. En effet, une méthode très simple mise au point par un psychologue, Harvey Karman, consistait à aspirer le contenu de l’utérus pour interrompre la grossesse, avec peu de matériel et une grande efficacité. Des médecins français et des femmes se sont formé.es à cette pratique et ont fait les avortements à partir de 1973, en le disant. Ne pouvant faire tous les avortements, ils et elles organisaient des voyages à
l’étranger pour les autres, avec beaucoup de publicité pour montrer que le problème n’était pas résolu en France.
Le MLAC a sauvé des vies
plusieurs centaines de femmes par an mouraient d’avortement avant 1973. La mortalité a chuté à quasiment zéro 2 ans avant que la loi ne soit votée. Les femmes qui voulaient avorter n’en mouraient plus. Et elles n’étaient plus seules.
Après le vote de la loi, il fallait créer des lieux où faire les interruptions volontaires de grossesse. Dès 1975, des Centres IVG ont ouvert dans des hôpitaux (la loi autorisant l’IVG jusqu’à 8 semaines de grossesse imposait de les faire dans des hôpitaux, publics ou privés). Les médecins gynécologues étaient souvent réticents à faire les avortements, dans beaucoup d’endroits ce sont les médecins généralistes qui y ont travaillé. Ceux et celles qui avaient fait les avortements au MLAC ont naturellement pris en main la création de tels centres.
C’est le cas du centre IVG de Colombes
, créé dès novembre 1975 par les médecins qui avaient fait les avortements dans un cabinet médical à Gennevilliers, où ils avaient tourné le film « Histoire d’A ». Ce film, rapidement censuré, a été très utile pour défendre le droit à l’avortement.
Ce centre IVG a maintenant 50 ans, plusieurs générations de médecins et d’infirmières y ont travaillé. Il reste un endroit particulier dans l’hôpital, les IVG y sont faites principalement sous anesthésie locale en privilégiant l’accueil et l’accompagnement des femmes. On y reconnaît l’esprit du MLAC, dans la façon de travailler, d’innover, d’échanger entre médecins et infirmières et de respecter le choix et la situation des femmes. On y fait des avortements sous anesthésie locale jusqu’au délai maximum de la loi qui est maintenant de 14 semaines de grossesse, le suivi de la contraception et des maladies sexuellement transmissibles, une aide en cas de violences, un accueil des jeunes et des femmes en situation difficile. L’accès est direct, la confidentialité assurée. L’équipe est soudée, le pouvoir médical est limité par la situation particulière de l’avortement. En effet, dans ces situations, ce sont les femmes qui connaissent la solution de leur problème de santé, et qui choisissent. Les professionnel.les de santé font en sorte que cela se réalise en sécurité et avec le maximum de confort. Dans cet esprit, l’équipe s’est formée à l’hypnose.
L’avortement médicamenteux : plus d’autonomie mais moins de confort
En 1988, une méthode d’avortements par médicaments a été commercialisée. Un premier médicament entraîne l’arrêt de la grossesse, un deuxième médicament provoque son expulsion. C’est l’équivalent d’une fausse couche. C’est efficace surtout
pour les grossesses débutantes, jusqu’à 6 ou 7 semaines de grossesse, en cas d’échec il faut recourir à l’aspiration. Beaucoup de femmes et de médecins choisissent cette méthode, qui évite d’aller à l’hôpital et d’avoir une intervention. De façon un peu contradictoire, cette technique provoque plus de douleurs et de saignements que l’aspiration et peut durer plusieurs jours ou plusieurs semaines. Des IVG médicamenteuses sont faites à l’hôpital ou dans des centres de santé ce qui permet de ne pas laisser les femmes seules pour gérer la douleur et les saignements, en tous cas pendant les 3 premières heures. Devant la pénurie de centres IVG et la réticence des gynécologues à faire les avortements, cette méthode se répand aussi pour des grossesses plus avancées, avec des souffrances encore plus importantes pour les femmes.
L’avortement est un droit pour les femmes, il faut des moyens pour qu’il soit une libération
Depuis 2024, la liberté d’avorter est inscrite dans la constitution française, et c’est un acquis. Mais « liberté » ne veut pas dire « droit ». On ne peut plus mettre une femme ou un médecin en prison pour avoir fait un avortement -dans les délais de la loi, 14 semaines de grossesse contre 20 en Angleterre ou aux Pays-Bas-. Mais s’il n’existe pas de lieux pour avorter, ce droit n’en est pas un. En 10 ans, 130 centres IVG ont fermé en France. Où et comment les femmes peuvent-elles avoir des avortements, quand elles habitent loin des centre ville ou qu’elle ne peuvent pas avoir de rendez-vous chez le médecin ?
Comment garantir que cela se passe bien si elles doivent assumer seules les aléas de techniques médicamenteuses pas toujours immédiatement efficaces ? Comment maîtriser la douleur et quand s’inquiéter de trop de saignements ? Ce que le MLAC a su faire, et que les centres IVG poursuivent, doit être mis à disposition des femmes pour que l’avortement devienne clairement une émancipation.
Cordel écrit par Martine Lalande à partir du livre « Si une femme veut avorter, ne la laisse pas seule » éd Syllepse Collectif Outils du soin, décembre 2024 www.outilsdusoin.fr
Des livres, des films |
Le groupe des femmes de Gennevilliers a eu un rôle très important
Constance
J’ai moi-même commencé à pratiquer des IG* et je suis la seule à le faire dans le groupe.
Cela ne m’a pas été facile mais je voulais aller jusqu’au bout de mon engagement politique.
Recevoir les femmes, les soutenir pendant les IG, ce n’était pas prendre suffisamment ses responsabilités.
Je devais moi-même enfreindre la loi et surmonter mes propres tabous.
J’ai peut-être aussi eu le besoin de m’affronter avec les médecins, de leur prouver que moi aussi je sais le faire.
*IG : interruption de grossesse
Soranie B
Cela a été la meilleure période de ma vie. Et des révélations en même temps.
J’avais lu « Le deuxième sexe » de Simone de Beauvoir, mais c’est dans ces activités
que s’est faite ma prise de conscience. (-)
Je me souviens que j’étais allée à un meeting à Paris, et que j’avais pris la parole,
j’ai expliqué ce qu’on faisait au MLAC, et que nous allions monter une Maison des femmes.
Cela avait eu beaucoup de succès.
Ginette F
Mai 68 a été pour moi un grand souffle. Notre couple s’est transformé, il s’est construit autrement.
Nous n’étions plus chacun dans notre petit rôle mais nous deux à faire quelque chose.
C’est toujours un slogan d’actualité : On n’est pas que mère, on n’est pas que travailleuse,
on est aussi femme. On n’est pas qu’épouse, on est aussi femme.
Notre féminité, il faut qu’on se la revendique et qu’on se la garde.
Le livre publié en 1979 Les femmes de Gennevilliers** présente les témoignages de leur vie
et de leur engagement, et les a fait connaître. Chacune y raconte ce que le combat pour
la parole des femmes et la revendication de la maîtrise de leur corps leur a apporté.
Médecins et infirmières témoignent
Marcelle C., gynécologue
J’allais à la faculté rue de l’École-de-médecine à Paris.
Quand j’allais acheter une fringue dans une boutique, les vendeuses ouvraient le petit rideau
de la cabine où j’essayais, et elles me disaient : « Vous êtes étudiante en médecine ?
Vous connaissez un endroit où je pourrais avorter ? »
Christine P., médecin généraliste au MLAC
La mortalité de l’avortement avant la loi était vraiment importante.
Le nombre de femmes que l’on a sauvées à travers cette action est certainement supérieur
à tout ce que l’on a fait d’autre.
Nicole W., infirmière
Dans le MLAC d’Argenteuil, il n’y avait pas de médecin.
J’étais la seule à avoir une formation paramédicale.
Petit à petit nous avons formé d’autres personnes dont certaines avaient connu le MLAC
pour leur avortement. L’une d’elles habitait Argenteuil et nous accueillait
une fois par semaine dans son appartement.
Josette Lanoue, infirmière au Centre IVG de 1978 à 2011
Bien que je n’aie pas été militante, je disais les mêmes choses
que ceux et celles qui y travaillaient Le fait de, respecter la femme
dans son,choix de vie, cela me plaisait.
Mathilde A., médecin au centre IVG depuis 2010
Pendant toute mon enfance j’avais entendu « MLAC », « Planning »...
À la maison, j’avais entendu « MLF », « IVG », « Un enfant quand je veux si je veux ».
Je me suis dit « Je vais comprendre tout ce que ça représente ».
Marie V.*, infirmière eu centre IVG
Je suis tellement contente quand les femmes reviennent quinze jours après leur IVG
et qu’elles sont soulagées. On a l’impression de les avoir « sauvées »,
on a été là à un moment où ce n’était pas facile,dans leur vie, sans jugement.
Juste avec elles. Combien nous disent : « Merci d’avoir été là »
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