Cordel 88 : Sauver sa peau, à quel prix ?

vendredi 14 mars 2025
par  Elisabeth Arrighi, Outils du soin, Rochelle Moricet-Monnier
popularité : 2%

Sauver sa peau, à quel prix ? 

La fréquence méconnue des dangers vitaux
Le droit d’exister, d’être en sécurité peut être mis en cause, contesté, voire nié par toutes sortes de situations, tout au long de la vie. Il y a les enfants maltraités qui reçoivent des paroles blessantes, humiliantes, des coups physiques, voire des agressions sexuelles. Un enfant meurt en France tous les 5 jours sous les coups de sa famille. Et les enfants à qui on ne fait pas de place pour toutes sortes de raisons, notamment transgénérationnelles. Sandor Ferenczi a des mots très justes : « Ce sont des enfants mal accueillis ». Le psychanalyste Pierre Cazenave, le formule ainsi : « Il est des nourrissons qui sont de fait menacés de mort. Parce que n’ayant pas eu la relation affective fondamentale qui leur aurait permis de grandir normalement. Pour eux, devenus adultes, c’est une honte, une honte fondamentale, un sentiment profond et diffus de ne pas avoir le droit de vivre. Comme si le fait de vivre était, en soi, une transgression. Comme si on n’avait que le droit de souffrir et de mourir. » La précarité de la vie, certains la vivent dès l’enfance, d’autres plus tard à cause de problèmes sociaux, de séparations, de trahisons, de maladies, de deuils, de guerres. Dans leur parcours, bien des exilé.es sont confronté.es à des dangers de mort répétés. Quelques soient les situations, le premier travail psychique sera de voir, d’identifier les dangers.

Les stratégies de survie par le renoncement
Alors, comment trouver, restaurer malgré tout un droit à l’existence ? Les stratégies de survie passent souvent d’abord par des renoncements. Philippe Réfabert propose l’image très parlante de la montgolfière. Certaines personnes sont comme dans une montgolfière qui n’arrive pas à décoller, elles doivent lâcher du lest et renoncer à une de leurs compétences pour pouvoir survivre. Par exemple renoncer à leur capacité d’agressivité pour éviter les conflits : enfant, face à des parents tyranniques, adulte, en cas d’environnement hostile. Ou renoncer à leur liberté et leur indépendance « pour pouvoir être aimé.es ». Ou encore renoncer à leur curiosité ou leur clairvoyance par peur des représailles ou parce qu’« il y a des choses à ne pas voir et que voir serait dangereux ».
Ces stratégies de renoncement sont parfois mal perçues ou mal jugées par les autres et même y compris par soi-même. C’est pourtant très légitime de vouloir « sauver sa peau ». Il y a là quelque chose de tragique : on est déjà menacé d’anéantissement sous des coups ou des paroles blessantes, mais aussi quand pour se protéger, on est obligé d’être soumis, docile, muet. Beaucoup peuvent se retrouver alors dans une vie pleine de vide et d’ennui. Gaetano Benedetti explique le rôle des thérapeutes dans ces cas-là : « l’attitude du thérapeute transforme progressivement le « ne pas être » en un « ne pas oser être ». L’image de non-existence que le patient projette se transforme en une possibilité qui reste encore inexprimée. » Mais qui peut se réaliser.

Développer de réelles compétences à partir de ces renoncements
Devenir diplomate et habile pour contourner les conflits, devenir altruiste et dévoué pour sortir des vieilles solitudes, ou encore développer son pragmatisme ou son imaginaire
Ces qualités, construites sur des zones traumatiques sont le meilleur de chacun.e, mais peuvent néanmoins être attaquées. Un peu comme si l’entourage extérieur devinait les zones de fragilité à l’origine de ces qualités, parfois sans même s’en rendre compte. Dans ces cas-là, pour la personne concernée, il y a une douleur à être attaquée sur une qualité acquise de haute lutte.

Le recours aux ressources extérieures
Repérer d’autres façons d’être et s’y raccrocher. Trouver d’autres modèles auxquels s’identifier. Il faut avoir eu quand même à un moment donné, un minimum de confiance en soi et dans les autres, en quelque chose ou quelqu’un « qui a sauvé la vie ». Ce ne sont pas seulement les gens qui sauvent la vie. Il y a beaucoup de choses qui aident à préserver son élan vital, le sport, la musique, la création. La lecture, par exemple, est une formidable porte pour s’ouvrir et se reconnecter au monde.

Les décisions radicales comme stratégies
Pour certains, le danger est tellement grave qu’il faut prendre des décisions radicales pour s’extraire du danger. S’autoriser à faire des choix, comme une nouvelle naissance, « un auto-engendrement » pour ainsi dire.
Ce peut être changer de métier, de pays, de prénom, C’est important que les thérapeutes sachent valoriser ces choix, ces inventions quand elles ouvrent vers du possible. Cela ne veut pas dire, bien sûr, que tous les changements radicaux sont bénéfiques. Parfois, on change, mais c’est pour répéter les mêmes catastrophes. Et parfois encore cela peut être une étape avant un autre changement qui restaure le droit à l’existence. 

Sortir de la culpabilité d’être survivant.e
Quand le parcours de vie fait côtoyer des personnes qui, elles, n’ont pas pu sauver leur peau, la culpabilité d’être survivant peut envahir. Pourtant survivre est légitime, tout en rendant hommage à ceux et celles qui n’ont pas pu survivre, ou qui ont eu beaucoup de mal à survivre, Cela se produit dans les tragédies de la petite et de la grande Histoire, et ce d’autant plus qu’un silence assourdissant et persistant entoure souvent ces situations.
Il existe différentes stratégies pour sauver sa peau, Elles peuvent s’additionner et créer une dynamique. Beaucoup de gens ont été en grave danger, qu’ils le sachent ou qu’ils tentent de l’oublier. Néanmoins, leurs stratégies et leurs parcours pour sauver leur peau, quels qu’ils soient, méritent le respect.

Citations

S’il n’y avait pas eu ma fille, je n’aurais pas survécu….C’est pour elle que je me suis battue de toutes mes forces. Pour survivre, il faut au moins trouver un petit fil auquel se raccrocher…Pour survivre, pour attendre…Un matin, et puis encore un autre. »
Svetlana Alexievitch, La Fin de l’homme rouge ou le temps du désenchantement, Actes Sud, 2013

« Elle fera comme toi un jour, s’en ira. Pour tenter de trouver, quelque part, l’existence à laquelle elle avait droit. Elle le paiera, au-delà de ce qui se conçoit.. »
Léonora Miano, Stardust, Grasset, 2022

« À Lotus, vous saviez bel et bien à l’avance puisqu’il n’y avait pas d’avenir, rien que de longues heures passées à tuer le temps. Il n’y avait pas d’autre but que de respirer, rien à gagner et, à part la mort silencieuse de quelqu’un d’autre, rien à quoi survivre, ni qui vaille la peine qu’on y survive. »
Toni Morrison, Home, éd. poche 10/18, 2013

« Et le ruisseau murmure sans cesse contre les cailloux qui voudraient l’empêcher de courir. »
Jules Renard, Journal 1887-1910, éd. F. Bernouard, 1925-27 1925-27271935

Ne plus avoir peur de sa peur.

Pourtant il est vrai que dès qu’on peut parler du traumatisme, c’est qu’on est déjà un peu sauvé [...]
Je suis quelqu’un qui survit. Je ne sais pas très bien pourquoi. Je n’en tire aucune fierté. Il m’arrive d’en avoir honte. J’ai perdu mon père bien aimé, j’ai perdu des amis chers, des gens qui mériteraient cent fois plus que moi d’être encore vie, de s’émerveiller devant un coucher de soleil. Je m’invente des excuses. Je me dis que je suis encore là parce qu’il faut que je raconte tout cela,
Mon idéal en réalité, c’est Claude Ponti, un type qui a été violé dans son enfance par son grand-père. Il devient un grand artiste, avec un monde à lui […]son monde est un univers parallèle dans lequel on peut affronter les monstres sans crainte, vivre des aventures dont on sort vainqueur et ragaillardi. On y apprend à ne plus avoir peur de sa peur.
Neige Sinno, Triste tigre, P.O.L., 2023

Ai-je été nourri par ma mère ? Est-ce une paysanne qui m’a donné son lait ? Je n’en sais rien. Quel que soit le sein que j’ai mordu, je ne me rappelle pas une caresse du temps où j’étais tout petit ; je n’ai pas été dorloté, tapoté, baisotté ; j’ai été beaucoup fouetté. [...] J’avais pour amis Crusoé et Vendredi. A partir de ce moment, il y eut dans mon imagination un coin bleu, dans la prose de ma vie d’enfant battu la poésie des rêves, Jules Valles, L’Enfant, publié en feuilleton par « Le Siècle », 1878

Ida ne disait jamais : "Tu es mon enfant. Tu n’es pas née dans le ruisseau. Tu es née dans mes bras. Viens ici que je te fasse un câlin." A défaut de sa mère, quelqu’un quelque part, aurait dû dire ces mots et les penser. 
Toni Morrison, Home, éd. poche 10/18, 2013

D’un accompagnement de survivant.es, au « Chant des vivants »

Où l’on verra que ce qui fait soin, c’est la conjonction de l’accueil, de l’effet porteur du groupe, de l’écoute, de la mise en mots et des corps remis en mouvement.
Même si l’expérience d’avoir vu son existence menacée et d’avoir dû sauver sa peau est un universel, certain.es le vivent de façon particulièrement aigue.

« Le Chant des vivants », film documentaire réalisé par Cécile Allegra, 78 min, éd. La 25ème heure, 2023
Synopsis : Survivant.es de la longue route de l’exil, de jeunes filles, de jeunes hommes, arrivent à Conques, au cœur de l’Aveyron. Là, une association, Limbo, entourée d’habitants accueillants, permet au groupe de se poser un temps. Ces jeunes sont issu.es d’Érythrée, du Soudan, de Somalie, de Guinée, de République démocratique du Congo. A Conques, ils et elles marchent, discutent, respirent… Peu à peu, le souvenir de la route s’atténue et la parole renaît. Alors un jour surgit une idée un peu folle, celle d’une expérience collective. L’histoire commence à l’automne, dans ce petit bout de France, et se termine en juillet, dans l’éclat d’un été. De toutes leurs épreuves, ils et elles feront une chanson.

Le recueil de leurs tragédies individuelles, émis à grand peine, à peine audible, marque la première force du Chant des vivants : nous rendre témoin du travail délicat des deux passeurs, Cécile et Matthias, recueillant les stigmates de passés encore à vif. Ils en feront émerger des mots, des phrases, des rythmes et des mélodies, élaborant avec chaque participant.e une ossature de chanson dont la force vitale crée peu à peu une brèche dans le désespoir, un mécanisme quasi alchimique de résilience naissante. 
François Waledisch www.on-tenk.com

une video de la chaine Psychanalyse et marionnettes sur le même sujet est visible sur le site www.outilsdusoin.fr https://www.outilsdusoin.fr/psychanalyse-et-marionnettes-videos/article/zoe-40-sauver-sa-peau-a-quel-prix


pour visualiser et imprimer le cordel, cliquer sur la vignette ci dessus ( il s’agit d’un document A4 recto verso , à imprimer et ensuite à plier en 4 , pour en faire un "cordel" à l’image des cordels bresiliens, petit fascicule d’écrit subversif ou de poème accroché à une corde à linge et vendu dans les marchés )

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