Cordel 91 : Tourner ou pas la page ?

vendredi 10 octobre 2025
par  Elisabeth Arrighi, Outils du soin, Rochelle Moricet-Monnier
popularité : 2%

Tourner la page ou pas ? Certaines pages difficiles de notre histoire ne sont pas toujours faciles à tourner. Devant les épreuves, les traumas, on pourrait avoir tendance à ressasser à l’infini. Et là, on le sait, ça ne sert à rien de donner de « bons » conseils, « tu devrais faire ceci, cela, T’as qu’à …Faut qu’on. ». Alors, comment sortir de nos épreuves ? A quelles conditions ?

Une histoire à déchiffrer, un récit à écrire

Quand l’histoire a été difficile, il faut pouvoir la comprendre, en saisir le contexte social, historique, familial. Voir comment les événements extérieurs ont retenti sur nos vies, sur celles de nos parents ou de nos grands-parents. Saisir comment les ressentis de peur, de honte, de douleur, de colère face aux injustices ont pu impacter nos ancêtres, nos proches et nous-mêmes. A la fois dans le transgénérationnel et dans notre petite enfance. Pour mettre des mots sur des ressentis flous.
Tenter de faire son arbre généalogique avec les évènements de l’Histoire (guerre, exil...) et ceux de sa vie familiale (naissances, mariages, séparations, déménagements, secrets dévoilés...) peut être très précieux .
Alors, écrire les différents chapitres de son histoire va aider à tourner les pages. Se mettre en état de curiosité vis-à-vis de soi va faire des ouvertures, d’autant plus si un proche, ami, thérapeute s’intéresse à ce récit.
Parfois les pages à moitié déchirées de notre histoire renvoient à des secrets plus ou moins cachés. Quand il manque des pages, on se retrouve désorienté. Sans savoir pourquoi, on est angoissé. Il peut se passer du temps avant de pouvoir élaborer des hypothèses pertinentes et apaisantes. Cela peut concerner des secrets de famille ou des évènements terribles occultés ou tus dans la Grande Histoire.

Changer les stratégies de survie élaborées autrefois face aux traumas

Pour tourner la page, il ne suffit pas de comprendre ce qui s’est passé, il faut changer de manière(s) d’être, de réagir, et cela peut faire peur. Parfois, on a envie et en même temps peur de tourner les pages. On veut et on ne veut pas. Tourner une page, ce n’est pas qu’une formule. Il s’agit de changer les stratégies élaborées autrefois pour survivre.
L’impact du trauma est énorme. Il provoque une sidération et une confusion, induit des émotions de peur, de colère, d’impuissance, de solitude, de souffrance. Ces émotions s’inscrivent dans le corps et se traduisent par des empêchements, des rigidités, des spasmes, des douleurs. Concrètement, tourner la page se fait quand les ressentis négatifs du trauma s’éloignent et que s’y substitue l’empreinte de moments paisibles, partagés, vécus dans la sécurité, la joie, la liberté.

De multiples raisons d’avoir peur

Changer, mettre à distance ce qui s’est passé peut provoquer toutes sortes de peurs : peur de se mettre en danger, de devenir vulnérable, peur de ne plus être aimé de tel(le) ou tel(le), peur de ne plus être vraiment soi-même, pas envie de passer l’éponge sur des injustices passées, sentiment d’être pris dans des croyances insurmontables. Toutes ces peurs sont légitimes. Pour pouvoir les surmonter, il faut d’abord les écouter.

La question du temps

Le trauma impacte la personne sur le moment, mais aussi dans la durée. Des psychanalystes comme Françoise Davoine, ont parlé du « temps gelé » du trauma. Pour la personne, le choc est là et persiste comme si c’était hier, que ce soit dans les souvenirs conscients ou dans les somatisations corporelles (douleurs, spasmes..). Alors tourner la page, c’est un processus qui se fait peu à peu, ponctué parfois par des prises de décision.

Les situations où les pages sont quasi impossibles à tourner

Il y a des traumatismes gravissimes qui laissent des traces très profondes. La confrontation avec le Mal, la perte de la croyance en l’humanité peuvent être terribles, la torture, la guerre, l’inceste, certaines violences familiales, les camps de concentration… « Là sans doute, on chemine comme on peut sur une ligne de crête » comme le dit Neige Sinno. Le défi est de rester vivant, relié à soi et aux autres malgré tout.

Les différents niveaux du changement

Plus tard le soin du trauma se fera à ces différents niveaux : nommer le trauma, trouver du sens à ce qui s’est passé, affronter les vieilles colères, peurs, tristesses, se connecter aussi avec les émotions positives, prendre appui sur les ressources extérieurs et aussi sur ses propres capacités, enfin apprendre à se connecter avec son corps, avec ses sensations, expérimenter d’autres manières de réagir. Pour cela , il importe que la personne se sente accompagnée, par un thérapeute ou un proche dans une atmosphère sécure et qu’elle expérimente, dans cette rencontre, un lien paisible et fiable où elle puisse être inventive, créative. Alors elle pourra écrire d’autres chapitres.


citations

« Je souffre au dur retour des tortures souffertes
Je compte d’un doigt las, de douleur en douleur
Le total accablant des blessures rouvertes
Et j’acquitte à nouveau ma dette de malheur.
Mais alors si mon âme, Ami, vers toi se lève,
Tout mon or se retrouve et mon deuil s’achève. »
William Shakespeare, Sonnet n°30

« C’est un monde où victimes et bourreaux sont réunis.
C’est un monde l’on ne peut pas ignorer le mal.
L’ignorer ou l’oublier n’est pas une option.
Mais on peut se maintenir au bord sans y pénétrer.
Apprendre à rester sur le seuil de ce monde,
voilà le défi, marcher comme un funambule
sur le fil de nos destinées. »
Neige Sinno, Triste tigre, P.O.L., 2023

« Peut-être que ce qui est arrivé est quelque chose dont toi et moi pouvons nous débrouiller. Peut-être que je pense que ce qui peut arriver est plus important que ce qui est arrivé. »
James Baldwin, Harlem quartet, Stock, 2003


Pouvoir clore le dossier


Constantin Alexandrakis qui a été jeune adolescent abusé autrefois évoque un livre de Micky Ward qui relate comment lui-même a été abusé et comment il a pu affronter plus tard son agresseur dans un match de boxe.

« Le risque pour Micky, c’était, après les premiers coups, de se mettre à pleurer en se jetant sur Hammer pour le prendre à la gorge, puis tenter de le finir à coups de pied, se laisser déborder par tant et tant de rage accumulée, prendre dans ses mains le pouvoir de la justice et chercher à se venger, se perdre dans sa rage, dans son histoire.
Mais Micky veut gagner ce combat. Il fait ce qu’il faut pour. Il garde son calme.[…] Dans son livre, Micky Ward ne développe pas. Il souligne juste la chance d’avoir pu bénéficier d’une forme de closure, un cadeau du destin si l‘on veut, une incroyable opportunité de pouvoir clore le dossier, tourner la page, le truc dont rêveraient toutes les victimes de violences sexuelles, en tout cas une confrontation que beaucoup n’auront jamais la chance de se voir offrir. A 15 ans, Micky a eu la chance de le vivre. »
Constantin Alexandrakis, L’Hospitalité au démon,
Gallimard, 2025


Face au temps gelé du trauma

« Devant un danger imminent, la première réaction thérapeutique doit prendre place le plus rapidement possible : c’est l’immediacy [...]. Cela dit, le temps figé qu’on affronte dans l’immédiateté oblige toujours à tout recommencer. Certains éprouveront après coup la nécessité de répéter, de dire et de redire les faits. D’autres se tairont. Certains fils de héros, de traîtres ou de victimes entreront en crise, avec la peur au ventre que leurs parents n’auront pas éprouvée. On pense alors que leur maladie est endogène, interne, persistante, alors que ce qui persiste, c’est cette temporalité hors temps, ouverte brutalement à leurs ancêtres, et qui perdure pour eux dans la suspension même du temps.
D’où la traîne paradoxale que ces évènements ouvrent dans les lignées, qui exigeront aux moments critiques la même immédiateté, parfois cinquante ans plus tard. Dans ces cas-là, l’urgence est le paramètre majeur du temps qui ne passe pas. L’urgence dure. »
Francoise Davoine et Jean-Max Gaudillière, Histoire et trauma : la folie des guerres, Stock, 2006

L’appui du lien avec un autre

« La psychothérapie est une positivation du vécu de l’autre grâce à une foi intacte dans le noyau sain du patient […], ce trésor brillant dans les ténèbres que le patient ou la patiente ne peut jamais reconnaître à l’aide de ses seules forces, mais seulement dans le miroir de la relation duelle. »
Gaetano Benedetti, La Psychothérapie des psychoses comme défi existentiel, Erès, 2003

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ce cordel est imprimable , en accès libre. C’est donc un A4 recto verso à plié en 4, et devient un "cordel" à l’image des petits fascicules brésiliens de poèmes, accrochés à une corde à linge et vendus dans les marchés

ce cordel est en lien avec une vidéo de la chaine Psychanalyse et marionnettes pour l’éclairer et approfondir la réflexion
https://www.outilsdusoin.fr/psychanalyse-et-marionnettes-videos/article/zoe-41-tourner-la-page-ou-pas-13-minutes

pour visualiser ce cordel sous sa forme "cordel" et l’imprimer, cliquer sur la vignette ci dessous


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