La crise comme une chance ? À quelles conditions ? - Cordel No 56

samedi 30 juin 2018
par  Elisabeth Arrighi, Outils du soin
popularité : 7%

Cecordel aborde la question des crises existentielles, ces moments de remise en cause de la vie telle qu’elle était jusqu’ici, des relations qu’on a avec les autres, des engagements qu’on avait jusque là (famille, couple, profession, …). C’est un moment violent de souffrance, qui peut se déclencher de façon brutale à l’occasion d’un évènement qui peut paraître anodin comme la goutte « qui fait déborder le vase ». La personne peut avoir l’impression d’une impasse, d’un long tunnel de colère étouffée et de larmes rentrées, voire de crise psychiatrique avec dépression profonde, ou épisode d’agitation qui déborde….
En rappelant l’étymologie du mot crise, qui signifie « choix », on développe dans ce cordel avec le psychanalyste Philippe Réfabert l’hypothèse que « celui qui ne peut pas faire un choix fait une crise ».

Nommer les enjeux de la crise, reconnaitre que le choix est difficile

Il s’agit souvent d’un dilemme, d’un choix difficile, vécu comme impossible entre deux désirs apparemment contradictoires. (attachement et liberté,….) Généralement au cœur de la crise, on a beaucoup de mal à discerner ce qui se passe, on est pris dans un tourbillon où on se sent dépassé. Il n’est pas facile d’identifier les enjeux de la crise. Et pourtant, il importe d’oser formuler, dire les deux versants de la contradiction. Cela soulage de savoir entre quoi et quoi on est écartelé.
Les deux engagements, les deux aspirations sont l’un et l’autre respectables. C’est important de redonner sa dignité à celui qui se sent perdu, de reconnaître la noblesse de vouloir être fidèle à des engagements légitimes même si aujourd’hui ils s’opposent.
Alors dans un deuxième temps seulement, on peut aider celui qui affronte sa crise à se décaler, à imaginer une autre configuration des places de chacun. Quand quelqu’un bouge dans sa vie, ce peut être aussi l’occasion pour tout son entourage de se positionner différemment, d’oser sortir des liens qui enferment , d’en inventer d’autres.

Un train peut en cacher un autre

Il peut être utile de faire un retour en arrière. Est-ce qu’autrefois, soi-même ou quelqu’un d’autre dans sa famille, a dû faire des choix difficiles ? Est-ce qu’autrefois dans l’enfance, un conflit de loyauté s’est imposé à l’enfant que la personne a été. Il est des situations d’enfance difficiles où l’enfant s’est retrouvé dans des conflits au sein de son entourage, sans les comprendre et sans que personne ne réagisse. Alors cette personne devenue adulte pourra rencontrer des situations
similaires en étant démuni. On peut l’aider à sortir de la crise d’aujourd’hui en évoquant la crise d’autrefois. A ce moment-là, cela peut être aidant de formuler la question « qu’est qu’on aurait pu et dû faire à l’époque, qui n’a pas été fait, mais qui aurait changé les choses ? »

La crise, entre oubli et mémoire

Les neurosciences nous montrent que lors des traumatismes, les émotions de peur, de terreur restent dans une partie du système nerveux central. L’« amygdale cérébrale » ne peut plus communiquer avec le reste du cerveau. Des circuits nerveux sont débordés par l’intensité des sécrétions de neurotransmetteurs de stress, ils « disjonctent », et tournent en
boucle, et la partie consciente du cerveau, le cortex, ne peut plus aider à calmer le jeu. On parle alors de sidération, de clivage. Avec Sandor Ferenczi, et ses successeurs, la psychanalyse propose des formulations pour ces phénomènes. Les évènements traumatiques qui n’ont pas été nommés, ni reconnus n’ont pas de lieu psychique, ils n’arrivent pas à être conscientisés ; ils sont ressentis, toujours aussi fort sans, pour autant, être devenus conscients, sans qu’on se souvienne
du contexte. Pour ces personnes, le temps s’est arrêté, comme gelé.
De plus, parfois, souvent, le traumatisme n’a pas été reconnu en tant que tel. En premier lieu, la maltraitance est escamotée par leurs auteurs, qui font en sorte de la minimiser comme s’il ne s’était rien passé. La crise actuelle survient souvent en écho à des situations de traumas d’autrefois occultés, pas nommés, pas reconnus. Quand le sujet les a subis, les
choix peuvent paraître tellement impossibles que l’idée d’en finir peut sembler envisageable.
Face à ce danger qui peut être vital, il est important que l’entourage se rende compte du drame que vit la personne prise entre deux fidélités.

Les conditions pour que la crise soit une chance

La crise est une chance quand elle permet d’aborder des questions restées latentes, des conflits pas encore résolus.
Il faut sans doute des conditions minimales de sécurité affectives, amicales, matérielles pour se risquer dans une crise.
Ensuite, surtout, il est indispensable de trouver un interlocuteur qui aide à exprimer ces conflits, la légitimité du malaiseet replace cette crise actuelle dans l’histoire de la personne. Cet interlocuteur (proche, thérapeute…) aura à s’engager aux côtés de la personne, à être un témoin qui puisse dire ce qui se passe, « un double au combat » qui puisse soutenir
dans la bataille. Alors peut-être pourra-t-on faire des choix, avancer dans sa vie , dépasser cette crise et inventer une autre place.

La crise entre mémoire et oubli

« …La crise, effet d’un défaut de mémoire : la crise est le signe que des choix ont été différés. Les façons qu’ont les hommes de camoufler, d’escamoter, de faire disparaître les conflits qui les gênent sont innombrables… Ainsi des évènements ont pu être escamotés à une génération antérieure et des fragments de scène, des émotions, des états du corps ont été transmis à l’enfant. Alors sa capacité de s’opposer, de dire non, peut avoir été désarmée. Et sa
capacité de distinguer ce qui est bon pour lui ou mauvais pour lui peut ne pas s’être développée.
Bref, pour construire sa mémoire, il faut être deux, il faut un autre qui accueille, enregistre, avalise ce qu’on a ressenti et perçu. Ici, la responsabilité du thérapeute est engagée puisque c’est lui qui pourra grâce à ce qu’il entend, perçoit et ressent, donner au patient la capacité de se constituer une mémoire.
Quand des évènements et des conflits ont été passés à l’as et n’ont pas eu de traduction en mots dans les générations précédents, le patient n’est pas en mesure de poser les termes de l’énigme qui le poursuit : il n’est pas maître de ses choix….

….La crise est le temps où le sujet revient sur la solution qu’il s’est inventée dans l’urgence. Une solution où il avait trouvé un équilibre, une guérison, parfois une guérison sévère. Mais la crise ne peut pas être prescrite. Ça vous arrive. On y passe ou on n’y passe pas. On ne peut pas dire « il faut » aller vers cette zone où on rencontre la mort. La psychanalyse, même si elle essaie de penser ces expériences limites, restera toujours sur le seuil. La crise, chacun l’a vécue. Mais
le plus souvent on ne veut plus en entendre parler…. …il faut quelquefois plusieurs analyses avant de trouver son temps, son rythme et un psychanalyste capable de sa crise…
La crise est une invocation à un autre. La crise est signe de vie. Les individus capables de faire une crise sont capables de changer de position subjective. La responsabilité du thérapeute est engagée puisque grâce à lui, le patient peut, ou non, devenir un jour le metteur en scène des scène des drames dont il est le lieu, peut, ou non, affronter les conflits sans les esca
moter et de là exercer ses choix…. »
Philippe Réfabert , psychanalyste , auteur notamment de
de Freud à Kafka éd.. Calmann-Lévy et de Freud, Fliess et
Ferenczi, des fantômes qui hantent la psychanalyse éd. Her
mann avec Barbro Sylwan , et à paraître Comme si de rien éd.
Campagne première
Extraits d’articles parus dans la revue Pratiques, les cahiers de
la médecine utopique….

cordel : petit fascicule brésilien de poèmes ou écrits subversifs accrochés à une corde à linge et vendus dans les marchés

Mai 2018 Cordel n°56 www.outilsdusoin.fr
les participant.e.s à la résidence d’écriture de cordels du
Collectif Outils du soin, partage de savoirs d’accès libre.
Cordel écrit par Elisabeth Maurel-Arrighi, psychanalyste, et généraliste

Citations

« De part et d’autre, on est infidèle, avec piété »
Friedrich Hölderlin

« C’est l’histoire de ta vie. Chaque fois que tu arrives à la croisée des chemins, ton corps s’effondre, car ton corps a toujours su ce que ton esprit ignorait, et quelque soit le moyen qu’il emploie pour craquer, qu’il s’agisse d’une mononucléose, d’une gastrite ou de crises
de panique, c’est toujours ton corps qui a repris à son compte le fardeau de tes batailles passées. »
Paul Auster dans Chroniques d’hiver

« La crise est une rupture d’existence. Le soi est con
traint à l’impossible. »
Henri Maldiney dans Penser l’homme et la folie

Illustration : Hélène Maurel

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